Mécanismes de l´Arabisation de la Berbèrie
L´arabisation suivit d´autres voies, bien qu´elle fût préparée par l´obligation de prononcer en arabe les quelques phrases essentielles d´adhésion à l´Islam. Le Coran, révélation immédiate de Dieu à son Prophète, ne doit subir aucune altération, il ne peut donc être traduit, en conséquence la langue et l´écriture arabes sont sacralisés, Cette contrainte et cette aura contibuèrent grandement à l´arabisation linguistique. Celle-ci fut, pendant la première période (XII-XIème siècles), essentiellement citadine.
Un certain nombre de villes maghrébines, surtout sur le littoral, ont conservé une langue assez classique, souvenir de cette première arabisation, renforcée par l´afflux des Andalous chassés d´Espagne au XVéme siècle, lesquels étaient le plus souvent des Berbères totalement arabisés. L´arabe citadin, classique, fut cependant presque partout submergé par une forme plus populaire, rude et mêlée de termes berbères. Cet arabe dialectal, lui même très divers, est, en fait, l´image linguistique de l´arabisation du Maghreb. Il est issu de la langue bédouine introduite au XIéme siècle par les tribus hilaliennes car ce sont elles, en effet, qui ont véritablement arabisé une grande partie des Berbères.
Les apports successifs de
Beni Solaïm, puis de
Mâqil, qui s´établirent dans le sud du Maroc, ne portèrent pas à plus de cent mille les individus de sang arabe qui pénétrèrent en Afrique du Nord au XIème siècle. Les
Vandales, lorsqu´ils franchirent le détroit de Gibraltar pour débarquer sur les côtes d´Afrique en mai 429, étaient au nombre de 80 000, ou le double si les chiffres de
Victor de Viat ne portent que sur les hommes et les enfants de sexe mâle. C´est à dire que l´importance numérique des deux invasions est sensiblement équivalente. Or que reste t-il de l´empire vandale en Afrique deux siècles plus tard ? Rien.
La conquête byzantine a gommé purement et simplement la présence vandale, dont on rechercherait en vain les descendants ou ceux qui prétendaient en descendre. Considérons maintenant les conséquences de l´arrivée des Arabes hilaliens du XIéme siècle : la Berbèrie s´est en grande partie arabisée et les Etats du Maghreb se considèrent comme les Etats arabes.
Ce n´est bien entendu ni la puissance génésique des
Banu Hilal ni une prétendue extermination des Berbères dans les plaines qui expliquent cette lente transformation.
Les tribus bédouines vont, en premier lieu, porter un nouveau coup à la vie sédentaire, par leurs déprédations et les menaces qu´elles font planer sur les campagnes ouvertes. Elles renforcent ainsi l´action dissolvante des nomades néoberbères qui avaient, dès le Véme siècle, pénétré en Africa et en Numidie. Précurseurs des Hilaliens, les nomades zénètes (ensemble de tribus des Aurès et ses alentours) furent facilement assilimés par ces nouveaux venus. Ainsi les contingents nomades arabes, qui parlaient la langue sacrée et en tiraient un grand prestige, loin d´être absorbés culturellement par la masse berbère nomade, l´attirèrent à eux et l´adoptèrent.
L´identité des genres facilita la confusion. Il était tentant pour les nomades berbères de se dire aussi arabes et d´y gagner la considération et le statut des conquérants; voire de chérif, c´est-à-dire descendants du Prophète.
A la concordance des genres de vie, puissant facteur d´arabisation, s´ajoute le jeu politique des souverains berbères, qui n´hésitent pas à utiliser la mobilité et la force militaire des nouveaux venus contre leurs frères de race. Les régions berbèrophones se réduisent à des îlots montagneux. A ces raisons d´ordre ethno-sociologique s´ajoutent des modifications climatiques qui, à partir du VIIème siècle, favorisèrent le genre de vie pastoral et nomade aux dépens des agriculteurs sédentaires.
Affirmations et réalités
On ne peut faire subir une telle dichotomie à la réalité humaine du Maghreb. Les nomades ne sont pas tous arabisés : il subsiste de vastes régions parcourues par des nomades berbèrophones. Tout le Sahara central et méridional, dans les trois Etats, est contrôlé par eux. Dans le Sud marocain l´importante confédération des
Aït Atta, centrée sur le Jbel Sarho, maintient un nomadisme berbère entre les groupes arabes de Tafilalet d´où est issue la dynastie chérifienne, et les nomades du Sahara occidental qui se disent descendre des tribus arabes
Mâqil, aujourd´hui contrôlés par les Regueibat. Il faut également tenir compte des petits nomades de l´important groupe Beraber du Moyen Atlas :
Aaîan,
Beni M´Guild,
Aït Seghrouchen.
Mais il n´empêche qu´aujourd´hui, hormis le Sahara, les zones berbèrophones sont toutes des régions montagneuses, comme si celles-ci avaient servi de bastions et de refuges aux populations qui abondonnaient progressivement le plat pays aux nomades et semi-nomades, éleveurs de petit bétail, arabes ou arabisés. C´est la raison pour laquelle au XIXème siècle l´Afrique du Nord présentait de curieuses inversions de peuplement : montagnes et collines au sol pauvre, occupées par des agriculteurs, avaient des densités de population bien plus grandes que les plaines et grandes vallées, au sol riche, parcourues par de petits groupes d´éleveurs.
Certains groupes montagnards sont si peu adaptés à la vie en montagne que leur origine semble devoir être recherchée ailleus. Des détails vestimentaires et surtout l´ignorance de pratiques agricoles, telles que la culture en terrasse, dans l´Atlas tellien, amènent à penser que les montagnes ont été non seulement des bastions qui résistèrent à l´arabisation, mais qu´elles furent aussi de véritables refuges, dans lesquels se rassemblèrent les agriculteurs, fuyant les plaines abandonnées aux déprédations des pasteurs nomades.
Quelles que soient leurs origines, les Berbères qui ocupent les montagnes du Tell sont si nombreux sur un sol pauvre et restreint qu´ils sont contraints de s´expatrier. Ce phénomène, si important en Kabylie, n´est pas récent. Comme les Savoyards des XVIIIème et XIXème siècles, les Kabyles se firent colporteurs ou se spécialisèrent, en ville, dans certains métiers : commerce de l´
huile, maraîchage,...etc.
L´essor démographique consécutif à la colonisation provoqua l´arrivée massive des montagnards berbèrophones dans les plaines mises en culture et dans les villes. Ce mouvement aurait pu entraîner une sorte de reconquête linguistique et culturelle aux dépens de l´arabe, or il n´en fut rien. Bien au contraire, le Berbère, qu´il soit Kabyle, Rifain, Chleuh ou Chaoui, arrivé en pays arabe, abandonne sa langue et souvent ses coutumes, tout en les retrouvant aisément lorsqu´il retourne au pays.
A notre époque
L´histoire de l´Algérie a fait perdre au peuple tous ses repères identitaires. Les prénoms originels tels
Kahina,
Dihya,
Syphax,
Juba,
Koceila,
Massinissa,...etc., sont interdits par l´état-civil. Nulle part on ne trouve de la civilisation amazighe, de la culture en terrasse, et des tours de Baloul, hautes de huit et neuf étages, construites il y´a quinze siècles dans les Aurès.
Au VIIème siècle, alors que les troupes arabo-musulmanes, parties de la presqu´île arabique, où s´était révélé le saint Coran au prophète
Mohammed, n´avaient mis que dix ans à conquérir le Moyen-Orient, elles ont dû batailler soixante-dix longues années pour s´emparer de l´Algérie. On connaît les noms de ces héros de cette résistance acharnée à l´envahisseur, comme
Koceila, un guerrier redoutable, dont le nom signifiait "la panthère",
Dihya, reine berbère surnommée la
Kahina (la sorcière) par les Arabes, à cause de son habileté à deviner et déjouer tous leurs pièges, et tant d´autres. Mais les historiens officiels ont censuré leurs épopée.
Quant aux deux grandes dynasties berbères, les
Almoravides puis les
Almohades, qui ont dominé le Maghreb et une partie de l´Espagne aux XIème et XIIème siècles, personne n´en a cure.
Prenant l´exemple de l´histoire de l´Algérie, dans les manuels scolaires, l´histoire ne commence quasiment qu´en 1830, avec le débarquement des troupes françaises à Sidi-Férredj, pour se terminer le 5 juillet 1962, date de l´indépendance de l´Algérie.
L´arabisation de l´Algérie, au lendemain de l´indépendance, a été menée par des bataillons d´enseignants venus d´Egypte, de Syrie et D´Irak. Des militants baâthistes, panarabistes, et des membres de l´internationale des Frères musulmans ont semé l´islamo-baâthisme dans un pays qui a suffisamment prouvé son attachement à l´islam durant cent trente-deux ans de domination coloniales.
On a délibérément entretenu la confusion entre nationalité et religion. Comme si les Algériens devaient obligatoirement être arabes pour être musulmans. Pourtant, personne ne demande aux musulmans indonésiens, pakistanais, africains ou indiens d´abdiquer leur nationalité pour cause d´islam.
Dans aucun manuel, on n´évoque le fond idéologique, les injustices sociales et les inégalités entre colons et Algériens, qui sont à l´origine de la révolution de novembre 1954, c´est-à-dire les véritables causes de son déclenchement.
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